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L'Otan va changer parce que l'Amérique change

<i>JCP: On constate en Grande-Bretagne et en Allemagne, les principaux alliés européens des Etats-Unis en matière de défense, une réelle angoisse vis-à-vis de l'avenir de l'Otan. Est-ce justifié? </i>
NG: Tous les alliés européens de Washington sont perplexes, voire inquiets, devant les évolutions stratégiques des Etats-Unis, et en particulier devant leur attitude à l'égard de l'Otan. Ils constatent en effet que l'unilatéralisme américain, cette méfiance envers toute démarche et institutions multilatérales, s'applique aussi à l'égard de l'Otan, qui était jusque-là perçue comme l'organisation internationale favorite de Washington. Une phrase leur a déssillé les yeux : celle du sous-secrétaire d'Etat à la défense Paul Wolfowitz qui a expliqué en février dernier à Munich que dorénavant, pour les Etats-Unis, &quot;c'est la mission qui détermine la coalition et non pas l'inverse&quot;. Dans ce contexte, l'Otan n'est plus une alliance pour l'action collective mais un réservoir de coalitions. Cette petite phrase a donné tout son sens au refus des Etats-Unis, après les attentats du 11 septembre, de recourir à l'Otan qui avait pourtant voté la mise en oeuvre de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord qui prévoit la défense commune de l'un des pays membres agressés. L'Amérique, aujourd'hui, préfère faire la guerre toute seule, avec les alliés qu'elle se choisit. Ce choix avait déjà été entériné sous l'administration Clinton, après la guerre du Kosovo.
<i>JCP: Cette évolution condamne-t-elle l'Otan, à terme?</i>
NG: L'Otan va changer parce que l'Amérique change. Elle évalue différemment ses responsabilités dans le monde, l'état des menaces auxquelles elle est confrontée. Les Etats-Unis sont le pays leader au sein de l'Otan. Eux seuls peuvent unilatéralement peser sur sa destinée. Une Otan qui ne servirait plus les intérêts de sécurité américains serait donc vouée à la mort. Or, aujourd'hui, les Etats-Unis considèrent que cette organisation sert plus à la sécurité des Européens qu'à la leur. S'ils veulent conserver l'Otan, les Européens doivent donc accepter le changement. D'abord, ils doivent prendre au sérieux la demande américaine de relancer leurs efforts en matière de défense, dans le cadre nouveau des politiques de l'Union. Ensuite, ils doivent aller dans le sens d'une Otan &quot;réservoir de coalitions&quot;, ce qui n'est pas mauvais pour les intérêts européens : si l'Union européenne, au fur et à mesure de sa montée en puissance militaire, peut utiliser les moyens, les procédures, l'expérience de l'Otan, c'est bon pour tout le monde.
<i>JCP: L'Otan doit-elle se charger de nouvelles missions, par exemple la lutte contre le terrorisme, et se définir comme un acteur mondial?</i>
NG: Non, il ne faut rien figer. L'Otan n'aura jamais un rôle mondial parce que les Etats-Unis ne voudront pas négocier surtout avec leurs alliés de l'Otan. Les Européens ne revendiquent d'ailleurs par non plus un tel rôle aujourd'hui, que ce soit via l'Otan ou via l'Union européenne. L'Otan devrait se contenter de jouer le rôle d'une chambre de consultation et de garder une approche au cas par cas. L'exemple de l'Afghanistan aujourd'hui est intéressant. Les pays de l'Otan ont estimé que dans cette opération hors zone, des structures de l'Organisation pourraient être utilisées par la Turquie, qui prendra le mois prochain le commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, l'instance qui dispose des compétences et des moyens les plus étendus sur le Vieux Continent, c'est l'Union européenne. Cette lutte passe surtout par la prévention. Ce sont des opérations de police, de justice, de traque financière, de renseignements et, parfois, des actions militaires. L'Otan n'est outillée que dans les deux derniers domaines. L'Union européenne dans les trois premiers et avec une montée en puissance dans les deux autres.