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Défense : plus, plus vite et mieux

20 November 2001

Loin d’en détruire la pertinence et la légitimité, les nouvelles menaces terroristes évidentes depuis le 11 septembre jouent comme autant de facteurs d’accélération pour la mise en œuvre d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Les raisons en sont multiples : La première réside dans la pression politique : la sécurité est devenue l’une des préoccupations majeures des gouvernements européens, parce telle est aussi la priorité des opinions publiques. Ce qui pouvait donc jusqu’ici être considéré comme une question technique – la forme et les limites d’une politique européenne de sécurité et de défense – devient désormais une question politique essentielle. La deuxième raison découle des nouvelles priorités américaines. De toute évidence, la lutte anti-terroriste va rabaisser encore le degré de priorité accordé par l’administration Bush à la question des Balkans. A court terme, un retrait militaire américain de l’ensemble de la région apparaît possible. Si tel était le cas, les Européens auraient désormais la tâche d’assumer seuls la continuité des opérations militaires en cours. Refuser une telle responsabilité, au nom du principe archaïque du " in together, out together ", ou reculer devant l’ampleur de la tâche, au motif de l’impréparation de la défense européenne, serait catastrophique pour la crédibilité même de l’Union. En termes de capacités, l’objectif d’une force de réaction rapide de 60 000 hommes pourrait très vite apparaître insuffisant, si les Européens devaient assumer simultanément la gestion des Balkans et une opération de maintien de la paix dans des théâtres plus éloignés : nul ne peut désormais exclure une opération européenne sous mandat de l’ONU au Moyen-orient voire en Afghanistan. L’ambiguïté restrictive qui planait sur l’aire géographique de la PESD est donc en passe de s’estomper. De même, la protection des forces européennes contre d’éventuelles attaques chimiques, nucléaires ou bactériologiques n’est plus seulement une hypothèse d’école. Quant aux différents tabous traditionnels - partage du renseignement, élaboration d’une analyse commune de l’état des menaces, pooling des ressources logistiques, augmentation réelle des budgets de défense - ils méritent maintenant sérieuse réflexion. S’agissant du contenu de la politique de défense, l’évolution semble également irrésistible, sauf à se tromper une énième fois de guerre : limitée jusqu’ici à une politique de projection de forces hors Union, la PESD ne pourra plus éviter d’intégrer également des missions de défense et de protection des citoyens au sein même de l’Union. Les opinions publiques ne comprendraient pas en effet que les efforts européens en matière de défense ne bénéficient qu’aux peuples des Balkans. Non qu’il faille arrêter la dynamique européenne au bénéfice des seuls efforts de défense nationale : en matière de lutte anti-terroriste, les événements du 11 septembre ont d’ores et déjà montré que le cadre national était nécessaire mais largement insuffisant. C’est plutôt l’évolution de la PESD vers certaines missions d’auto-défense des territoires européens qui devient inévitable. Certes, des résistances sont à prévoir de la part des pays traditionnellement les plus hostiles à l’hypothèse d’un article 5 dans les compétences de l’Union. Mais la demande de protection est telle dans l’ensemble des pays de l’Union que l’on voit mal comment elle ne bousculerait pas aussi les orthodoxies institutionnelles de chacun. Pour autant, la priorité donnée à la protection des citoyens de l’Union ne doit pas réduire le soutien, politique et financier, apporté jusqu’ici aux tâches de stabilisation de l’ex-Yougoslavie. Convaincre les opinions et parlements nationaux que la sécurité intérieure contre le terrorisme commence avec la projection extérieure des forces européennes deviendra une nouvelle nécessité pour les responsables de la PESD. Dans les Balkans comme ailleurs, les liens entre la faiblesse des structures étatiques et la prospérité des réseaux du crime organisé sont en effet patents. Qu’ils le veuillent ou non, les Européens impliqués dans la stabilisation de la Bosnie, du Kosovo et de la Macédoine devront désormais conjuguer une politique de maintien de la paix traditionnel avec la lutte concrète contre les bases financières, voire les camps d’entraînement, des activités terroristes. Plus, plus vite, et mieux : tels sont donc les défis que la politique de défense européenne doit maintenant relever. L’Union a déjà tous les moyens pour devenir le partenaire privilégié des Etats-Unis dans la lutte anti-terroriste : la puissance économique et financière, les compétences en matière de police et de justice, une politique étrangère commune dans bien des domaines, un début de politique de défense, et, surtout, une dynamique politique réelle entre les Quinze Etats membres. Certes, l’OTAN reste indispensable pour forger du consensus politique euro-américain le plus large possible ; mais elle n’a aucune des compétences non militaires que requiert toute stratégie anti-terroriste, et les Etats-Unis eux-mêmes semblent n’avoir ni désir ni besoin d’utiliser les structures intégrées de l’OTAN pour mener leur campagne militaire. L’Union européenne est-elle pour autant adaptée à assumer ce partenariat stratégique avec les Etats-Unis ? Pas tout à fait ou pas encore, sauf à accélérer les réformes nécessaires à son efficacité. Celles-ci peuvent se décliner en multiples urgences institutionnelles : renforcer la cohérence entre les piliers économique et politique de l’Union, bousculer les chasse gardées, simplifier les responsabilités en matière de police, élaborer des priorités budgétaires cohérentes avec l’objectif de sécurité etc. En réalité, l’ensemble de ces réformes se résume à une même urgence : politiser la politique étrangère de l’Union. Les 15 Chefs d’Etat ont ici une responsabilité majeure : le Conseil européen devrait se réunir en formation Conseil de sécurité de l’Union, le rôle et le droit d’initiative du haut Représentant pour la PESC, Javier Solana, devraient être sérieusement renforcés. Car la lutte globale contre le terrorisme a ceci de particulier qu’elle renouvelle considérablement la question naguère inextricable de la subsidiarité : à la question de savoir quel niveau - l’atlantique, le national ou l’européen - sera plus efficace en la matière, la réponse penche de plus en plus du côté de l’Union.