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Vers l'Agence européenne d'Armement, de Recherche et de Capacités

01 January 2004

Depuis le début des années 1990, les gouvernements européens ont lancé de nombreuses initiatives pour renforcer leur coopération dans le domaine de l'armement. Toutes ces initiatives se sont développées en dehors du cadre de l'Union européenne (UE). En effet, les Etats membres ont traditionnellement exclu la question de l'armement du processus européen d'intégration, préférant organiser leur coopération dans d'autres forums. Il y a cependant fort à parier que cette situation évolue : depuis les travaux de la Convention sur « l'avenir de l'Europe » surtout, les gouvernements nationaux semblent de plus en plus prêts à gérer certains aspects dans le cadre de l'UE.
<b>La prise de conscience</b>
C'est là une évolution positive car elle indique une prise de conscience croissante sur deux points:
Premièrement, confrontés à un écart grandissant entre leurs contraintes budgétaires et l'explosion des coûts de développement des systèmes d'armes complexes, les Etats membres devront améliorer considérablement leur coopération en matière d'armement s'ils veulent continuer à maintenir une Base industrielle et technologique européenne de Défense (BITD) compétitive et équiper leurs forces armées de manière appropriée.
Deuxièmement, l'UE peut apporter une valeur ajoutée aux réformes nécessaires du secteur de l'armement, dans la mesure où elle dispose d'un vaste éventail d'instruments communautaires et de dispositions dans le cadre de la PESC pour agir dans les domaines où l'action est la plus nécessaire :
<i>Acquisitions</i>. Pour être économiquement profitable, la recherche d'interopérabilité doit se traduire par des programmes d'équipement communs dotés des mêmes caractéristiques techniques et calendriers d'acquisitions. Pour atteindre cet objectif, l'Europe a besoin d'un système d'acquisition commun qui permette une harmonisation efficace des besoins militaires et une meilleure gestion des programmes. <br />Recherche. Il est bien connu que l'Europe dépense trop peu en recherche militaire. De plus, seule une petite proportion de ces dépenses est consacrée à la coopération européenne. Par conséquent, une amélioration significative de la coordination est indispensable dans le domaine de la recherche militaire. De même, les distinctions quelque peu artificielles entre recherche militaire et recherche civile doivent être dépassées afin de permettre la pleine exploitation des synergies potentielles.
<i>Marché</i>. La fragmentation des cadres réglementaires nationaux est une source majeure d'inefficacité. La création d'un marché européen des équipements de défense doté d'un ensemble de règles uniques pour l'approvisionnement, la concurrence, les transferts, les exportations, etc. représenterait donc un important pas en avant, facilitant la coopération industrielle et encourageant la concurrence intra-européenne.
<b>Un effort de définition</b>
Trois documents structurent le débat sur les réformes futures et sur une éventuelle participation de l'UE dans l'armement : la Communication de la Commission sur une politique européenne en matière d'équipements de défense, adoptée en mars 2003 ainsi que le projet de Traité constitutionnel de la Convention et les conclusions de la présidence de Thessalonique (documents présentés en juin 2003). Alors que la Communication de la Commission se concentre sur les questions de recherche et de marché, les textes de la Convention et les conclusions de Thessalonique font référence à la création d'une Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement.
&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Selon les Articles I-40.3 et III-212 du projet de traité de la Convention, une telle agence aura pour mission de :
contribuer à identifier les objectifs de capacité militaires des Etats membres et à évaluer le respect des engagements de capacité souscrits par les Etats membres ;
promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption des méthodes d'acquisition performantes et compatibles ;
proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires, et assurer la coordination des programmes exécutés par les Etats membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques ;
soutenir la recherche en matière de technologie de défense, coordonner et planifier des activités de recherche conjointes et des études de solution techniques répondant aux besoins opérationnels futurs ;
contribuer à identifier, et le cas échéant mettre en œuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires.
Suite à l'échec du sommet de Bruxelles mi-décembre, le projet de traité, y compris l'article 212, est en suspens. Pour l'instant, il n'est pas clair si l'impasse est transitoire ou définitive. L'agence n'est toutefois pas remise en question, parce qu'il existe une deuxième piste pour sa création : En juin 2003, le Conseil européen de Thessalonique a décidé de charger « les instances compétentes du Conseil de prendre les mesures nécessaires en vue de créer dans le courant de l'année 2004 [italiques rajoutées] une agence intergouvernementale dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement ».
S'ajoutant à l'une des dispositions du nouveau traité, la décision de Thessalonique était quelque peu litigieuse autant en termes politiques que juridiques. Elle a pourtant l'avantage maintenant de permettre la création de l'Agence même si l'échec de Bruxelles s'avérerait comme définitif. De plus, elle a créé une dynamique considérable : quelques semaines seulement après le sommet, le Conseil a mis en place un Groupe de Préparation ad hoc pour développer les notions fondamentales de l'organisation et des missions de l'Agence. Le Groupe a présenté ses conclusions, à la mi-novembre, dans un rapport approuvé par le Conseil des Affaires générales et des Relations extérieures (CAGRE) comme point de départ pour les prochaines étapes.
Selon le rapport, l'Agence visera à a) développer les capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises, b) promouvoir et renforcer la coopération européenne en matière d'armement, c) contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre toute mesure utile pour renforcer la BITD et d) promouvoir, en liaison avec la Commission, la recherche destinée à répondre aux besoins des futures capacités de défense et de sécurité.
<b>Un projet ambitieux</b>
Dans sa phase initiale, l'Agence fera office de centre de coordination pour le réseau existant d'organismes d'armements et soutiendra le Conseil durant l'application du PAEC. Une fois pleinement opérationnelle, l'Agence sera responsable en particulier « de l'intégration entre les aspects opérationnels de capacités (...) et les aspects liés à l'acquisition et au développement de capacités ». A ce stade, l'Agence « incorporera ou assimilera les principes et pratiques des éléments pertinents des arrangements/groupements/organisations préexistants (OCCAR, accord-cadre LoI, GAEO/OAEO) » .
L'Agence comprendra un comité de surveillance, qui se réunira au niveau des ministres de la défense ou de leurs représentants ; un directeur, qui sera le Haut Représentant pour la PESC ; un directeur adjoint et une équipe de recherche. Les décisions du Conseil sur l'Agence seront prises au CAGRE lors des réunions des ministres de la défense, après avoir été élaborées par le COREPER (Comité des Représentants Permanents) et le COPS (Comité Politique et de Securité). La Commission sera complètement associée aux travaux de l'Agence ; par contre, le rôle des directeurs nationaux de l'armement reste à déterminer.
Suite au rapport du Groupe ad hoc, une Equipe de Création d'Agence (ECA) préparera maintenant les conditions pour la mise en place opérationnelle et de travail de l'Agence. L'ECA s'occupera en particulier des aspects financiers, juridiques et administratifs de la création de l'Agence et précisera ses missions en vue de lancer ses activités en 2004.
Compte tenu de l'insuccès des précédentes tentatives de créer une Agence de l'Armement, le projet actuel a une dynamique impressionnante. Mais cela ne veut pas dire qu'il atteindra son objectif, d'autant plus que d'importantes divergences persistent entre les Etats membres sur des points importants, comme la philosophie d'acquisition ou la stratégie industrielle de défense. Ces désaccords sont particulièrement difficiles à surmonter dans un processus intergouvernemental de prise de décisions impliquant 25 gouvernements et de nombreuses administrations. Si l'on ajoute à cela l'inertie bureaucratique habituelle et la traditionnelle résistance des establishments militaires nationaux à céder des prérogatives aux institutions européennes, on a une petite idée des difficultés rencontrées pour trouver des solutions efficaces.
<b>Quelques principes à intégrer</b>
Malgré tout, les réalités financières, militaires et industrielles sont telles aujourd'hui que l'Europe a besoin d'une Agence suffisamment forte pour avoir un impact réel sur le secteur de l'armement. Pour atteindre cet objectif, l'Agence devrait, dans l'idéal, être développée autour des principes suivants :
L'objectif principal de l'Agence devrait être double : premièrement, elle devra assurer que les besoins des forces armées européennes sont systématiquement analysées en commun afin de faciliter la standardisation de l'équipement militaire et de générer des économies d'échelle. Deuxièmement, elle devrait renforcer l'efficacité de la coopération en matière d'armement de façon à exploiter efficacement les économies potentielles.
L'Agence devrait concentrer ses efforts sur les plus importantes lacunes, en particulier l'harmonisation des besoins en capacités et la recherche militaire. Pour coordonner efficacement les deux secteurs, l'Agence devrait développer une approche sur le long terme des besoins en capacités : autrement dit, chercher à savoir à quel moment et dans quel domaine un nouveau besoin apparaîtra, et quelles possibilités technologiques existeront alors pour palier cette lacune. Ce type d'approche est la seule solution efficace pour harmoniser les calendriers de remplacement et les besoins militaires. De plus, l'Agence devrait analyser à la fois la planification de l'UE et celle des pays membres. Etant donné que les besoins en capacités de la Headline Goal Force ne représentent qu'une partie des besoins nationaux, l'Agence a besoin d'un maximum d'informations sur l'ensemble des planifications nationales pour pouvoir identifier toutes les occasions de coopération.
Les méthodes de travail devraient aller au-delà des schémas traditionnels intergouvernementaux. L'Agence devrait établir des groupes de travail permanents réunissant des spécialistes de l'acquisition, de la recherche et des experts militaires. La participation à ces groupes serait reservée aux pays qui contribuent financièrement au projet concerné. En général, les méthodes de travail s'inspireraient largement des entreprises du secteur privé : structures simplifiées, hiérarchies plates et délégation des responsabilités à la direction en place.
L'Agence a besoin de suffisamment d'autonomie et de soutien politique. Les gouvernements ne devraient pas intervenir dans les affaires quotidiennes de l'Agence. Celle-ci devrait avoir, en particulier, un budget de recherche autonome et être libre de choisir les entreprises réalisant ses projets. De plus, l'Agence a besoin d'un soutien politique fort pour surmonter d'éventuelles résistances au niveau des agences d'acquisitions et des industries nationales.
La coopération avec d'autres acteurs est primordiale. Tout d'abord, le choix des besoins nationaux en capacités de défense relève d'une décision politique et militaire, et sort ainsi du champ d'activité de l'Agence. De ce fait, cette dernière ne pourra travailler efficacement que si elle obtient le soutien nécessaire des planificateurs militaires nationaux. Ensuite, l'Agence devrait se concentrer sur la recherche appliquée militaire et laisser la recherche avancée ainsi que la recherche en matière de sécurité à d'autres organes plus compétents. En conséquence, il lui faudra coopérer étroitement avec la Commission, en particulier, pour favoriser d'éventuelles synergies entre les différents domaines de recherche.
<b>Une approche globale à mener</b>
Une Agence organisée selon ses principes ne représenterait certainement pas une révolution dans les affaires de l'armement, mais pourrait probablement accroître l'efficacité du secteur et engendrer de nouvelles synergies. Cependant, on ne devrait pas oublier que même une Agence forte ne résoudra pas tous les problèmes du secteur de l'armement européen. Une réforme réussie doit se fonder sur une approche globale incluant en particulier : (a) la création d'un Marché commun des équipements de défense s'appuyant sur un ensemble de règles communes juridiquement contraignantes, et (b) une stratégie de recherche cohérente couvrant toute la gamme technologique (militaire, civile et de sécurité).
Aussi, des réformes dans des domaines aussi complexes que l'armement sont-elles par définition difficiles et de longue haleine. Même avec le consensus et la volonté politique nécessaires, de telles mesures ne pourraient être instituées que progressivement. De plus, même si une structure de base était mise en place en 2004, l'Agence ne deviendrait pas opérationnelle du jour au lendemain : les éléments existants doivent être regroupés, il faut créer de nouveaux organes, embaucher du personnel, etc. Une fois établie, l'Agence aura besoin de temps avant d'atteindre sa vitesse de croisière et de commencer à avoir de l'influence. En fait, la création d'une Agence ne sera pas un acte ponctuel mais s'étalera sur une longue période. Un processus qui comporte de nombreuses inconnues, notamment parce que l'Agence évoluera dans un environnement institutionnel lui-même en pleine mutation.
Enfin, la suite de la conférence intergouvernementale reste incertaine. Certes, l'Agence peut être créée sans Constitution. Cependant, elle verrait son statut juridique et institutionnel considérablement renforcé si elle était mentionnée dans le Traité de l'Union. Par ailleurs, 2004 ne sera probablement qu'une première étape, avec la création d'une structure de base, qui serait développée ensuite. Une fois le nouveau Traité de l'UE ratifié, le Conseil pourrait interpréter les Articles I-40.3 et III-207 comme un mandat pour tirer les premières leçons des solutions élaborées en 2004, et pour éventuellement les réviser.
Face à toutes ces incertitudes, il est particulièrement important de développer et de maintenir une vision claire et ambitieuse de ce que l'Agence devrait devenir, à savoir un acteur européen de poids, dont l'action complémentera efficacement les politiques nationales.