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La contribution de l'Union européenne à la stabilité de son voisinage : le cas du Maghreb

27 November 2006

L'intégration régionale au Maghreb, comme solution possible à l'impasse
La situation dans les pays du Maghreb ne s'est pas améliorée visiblement au cours des dernières années. Le rapport des Nations unies sur le développement humain de 2006 place les trois pays du Maghreb central au niveau de développement moyen, aux postes 87 pour la Tunisie, 102 pour l'Algérie, et 123 pour le Maroc, soit à des niveaux inférieurs à ceux de la Chine, du Pérou et de l'Ukraine, par exemple. Tous ces pays ont des populations très jeunes, des carences sérieuses au niveau de la santé et de l'éducation et, dans une vaste mesure, sont en marge des processus de la mondialisation. Par conséquent, ils souffrent d'une forte tendance à l'émigration vers l'Europe, mais sont également une terre d'immigration pour les populations d'Afrique subsaharienne, ce qui les transforme en lieu de passage.
D'un point de vue politique, les trois pays ont vécu dernièrement des évolutions différentes, avec une timide ouverture au Maroc, un processus de réconciliation nationale en Algérie et l'immobilisme en Tunisie. Toutefois, aucun de ces pays n'a véritablement progressé vers une forme plus ou moins stable de gouvernement, et il existe des différences notables sur le modèle politique qui doit prévaloir. Dans tous ces pays (comme dans le reste des pays arabes), la montée en puissance des mouvements islamistes demeure une réalité.
Or, dans tous les scénarios envisageables pour le Maghreb (du maintien des régimes en place à l'éclatement de révolutions islamistes), la stabilité et le développement de ces pays sont loin d'être assurés. Une des raisons principales à cet enlisement est l'absence de rapprochement régionale. Non seulement en Europe, mais aussi dans d'autres régions du monde, des processus d'intégration ont facilité les relations et stimulé un environnement plus favorable pour les sociétés concernées ainsi qu'un retour de la confiance internationale. Dans le Maghreb, certaines conditions pour lancer ce type de processus sont présentes, mais une bonne approche des difficultés est nécessaire. Plus spécifiquement, il conviendrait de trouver le cadre géographique approprié, d'offrir le nécessaire soutien européen et d'avancer vers une solution pour le différend du Sahara occidental.
L'intégration régionale du Maghreb exige de lancer un processus de coopération substantielle qui offrirait aux participants ainsi qu'à leurs peuples des modes de vie plus dignes d'une part, et permettrait, d'autre part, à l'Union européenne d'établir des relations plus fructueuses avec cette région du monde. Au Maghreb, les acteurs locaux doivent être eux-mêmes les protagonistes d'un nouveau processus de dialogue et de coopération. Mais les Européens devraient insister sur les avantages d'un tel processus. Il faut, donc, trouver l'équilibre approprié entre la participation active des Maghrébins et le soutien de l'Europe comme partenaire principal.
À l'heure de définir l'espace régional approprié, il faut avoir à l'esprit que le Maghreb central (Algérie, Maroc et Tunisie) pourrait constituer un ensemble plus facile à aborder que le grand Maghreb (Algérie, Lybie, Maroc, Mauritanie et Tunisie). Dans tous les cas, ce sont les pays concernés eux-mêmes qui doivent décider. Mais cette décision devrait se fonder sur des critères pratiques et non sur des idées vagues difficiles à mettre en œuvre. De plus, la création d'une association forte au sein du Maghreb central peut se combiner avec le maintien (et même le renforcement) de l'Union du Maghreb arabe, qui comprend les cinq pays.

Une implication européenne plus active dans la solution de la controverse du Sahara occidental
Quoi qu'il en soit, tout projet de rapprochement régional dans le Maghreb doit commencer par aborder la controverse du Sahara occidental. Ce différend a divisé les pays européens, ceux de la Ligue arabe, de l'Union africaine, et les Nations unies ne sont pas parvenues à régler cette affaire, sur laquelle James Baker a travaillé longtemps en tant que représentant du Secrétaire général de l'ONU. Pour faire progresser le règlement de cette question, qui serait sans doute très avantageux pour les Maghrébins et pour les Européens, l'Union devrait s'impliquer davantage.
Les Etats membres de l'Union devraient commencer par élaborer une position commune fondée sur des principes consensuels. L'Espagne et la France, les deux pays les plus impliqués, ont récemment fait évoluer leurs points de vue respectifs. Une nouvelle entente s'est instaurée entre l'Espagne et le Maroc alors que l'Algérie et la France cherchent à bâtir une relation stratégique de large portée. Il est clair que maintenir des positions extrêmes (soit accepter la stabilité du Maroc, donc la possession du territoire, comme la seule priorité, soit insister sur la libre détermination du peuple saharoui comme unique formule possible) est contreproductif. Il faut, en revanche, que les pays européens se mettent d'accord sur les paramètres essentiels pour une solution intermédiaire. Ces paramètres pourraient inclure : (a) une solution pacifique du conflit ; (b) une négociation entre les parties dans un cadre multilatéral ; (c) un soutien européen à la négociation; et (d) une ratification en tout cas par référendum de la formule adoptée.
D'un point de vue historique, il est possible d'affirmer qu'il existe une timide convergence des parties, le Maroc et le Polisario, ce qui ouvre une fenêtre d'opportunité. La « fatigue » contribue parfois à l'accord. En effet, le contrôle territorial du Maroc lui a permis de formuler des objections au plan Baker II depuis l'été 2003, en s'attachant essentiellement au principe d'intégrité. Mais la situation réelle du Sahara s'est dégradée ces dernières années, et cette détérioration ne doit pas continuer. Pour sa part, l'Algérie se sent maintenant plus forte sur le plan international, mais son soutien au Polisario se heurte au contrôle territorial marocain.
Le moment est donc venu de prendre des initiatives audacieuses. Le problème est qu'il n'existe pas, à ce jour, de forum adapté où l'on puisse négocier sérieusement. C'est pour cette raison que l'Union européenne et ses Etats membres devraient proposer la création d'un nouveau cadre : une table de négociation sur le Sahara occidental dans laquelle les parties pourraient négocier directement avec l'aide de l'Algérie, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, les Nations unies et l'Union européenne. Au lieu de nommer un médiateur extérieur qui présenterait des solutions possibles, il est préférable d'ouvrir un dialogue, même discret pour commencer, entre les parties, dans un cadre propice, ce qui pourrait permettre, à terme, d'offrir des garanties et un financement le cas échéant.
Parvenir à une solution du contentieux sera difficile parce que les deux parties, par définition, doivent faire des concessions. Également, lorsqu'un accord sera éventuellement passé, il faudra beaucoup de temps et de volonté pour l'appliquer. Il sera toutefois plus aisé de parvenir à une formule négociée et de l'exécuter si l'Union est présente pendant tout le processus. Cette présence servirait également à lier, ne serait-ce que symboliquement, la solution du différend et une construction régionale ultérieure.
<br />Vers une nouvelle structure sous-régionale
Les cadres institutionnels présents actuellement dans la région sont insuffisants parce qu'ils ne permettent pas d'avancer vers une intégration du Maghreb. En ce qui concerne les structures locales, l'Union du Maghreb arabe (UMA) est une organisation « dès le haut » (top-down) qui n'a pas pu fonctionner de manière efficace jusqu'à présent. Une réunion de chefs d'Etat, qui devait se tenir à Alger en décembre 2003, a été annulée, et un nouveau sommet du même format, prévu à Tripoli en mai 2005, a été également reporté. En outre, l'accord d'Agadir pour la libéralisation du commerce souffre de l'absence de composante géopolitique nécessaire.
Pour ce qui est de la dimension euro-méditerranéenne, dans le contexte du Processus de Barcelone, l'Union européenne a signé des Accords d'association avec la Tunisie (en 1995), le Maroc (en 1996) et avec l'Algérie (en 2002) et, dans le cadre de la Politique de Voisinage, il existe des plans d'action avec le Maroc et la Tunisie. L'Union européenne, qui a la part du lion des échanges commerciaux (deux tiers environ) avec les pays du Maghreb, est leur partenaire économique privilégié.
Toutefois, la politique extérieure européenne ne tient pratiquement pas compte de l'amélioration des relations entre voisins. Le Processus de Barcelone est une entreprise multilatérale qui considère la région méditerranéenne dans son ensemble, et n'a pas trouvé malheureusement de nouvel essor lors de la conférence tenue en novembre 2005 à l'occasion de son dixième anniversaire. L'élargissement de l'UE à dix nouveaux membres en 2004 (dont Chypre et Malte) et les négociations en cours avec la Turquie ont profondément transformé la composition du partenariat : aujourd'hui, les 25 de l'Union se trouvent dans le processus de Barcelone face à sept pays arabes, Israël, la Turquie et l'Autorité palestinienne. En outre, dans un souci d'homogénéité contestable puisque chaque région est différente, la Commission développe depuis 2004 la Politique de Voisinage de l'UE. Cette homogénéité est, en fait, surtout de nature administrative, car elle est mise en œuvre à travers des plans d'action bilatéraux rédigés par l'Union et les Etats concernés, ce qui engendre finalement une « bilatéralisation » de la PESC. Quels que soient les résultats à terme de cette nouvelle initiative, il est clair que les relations entre Etats voisins ne suscite pas assez d'attention.
Afin de changer la donne et de promouvoir depuis l'Europe la solution des controverses et le rapprochement au sein du Maghreb, l'Union et ses Etats membres devraient repenser les structures institutionnelles en place. Le temps est maintenant (de nouveau) celui des architectes et du retour aux grands desseins où il est permis de penser de manière ambitieuse. Deux options au moins sont possibles pour l'Union européenne :
<br />A. Au sein du Processus de Barcelone, une association sous-régionale pourrait être créée à laquelle participeraient l'Union et les trois pays du Maghreb central. Ce cadre subrégional servirait à coordonner l'assistance requise par les pays du Maghreb afin d'avancer vers l'intégration, grâce à l'expertise de l'Union en ce qui concerne l'ouverture graduelle des frontières et la promotion des échanges Sud-Sud. Pourraient également être traitées dans ce cadre les questions d'intérêt commun : développement économique, mouvements migratoires, terrorisme et crime organisé. Cette association serait compatible avec le processus de Barcelone, car chaque cadre aurait un contenu différent mais complémentaire, avec les Accords d'association et avec la Politique de Voisinage. <br />B. Une autre alternative serait un nouveau lancement du Groupe 5 + 5 (Algérie, Lybie, Maroc, Mauritanie et Tunisie plus Espagne, France, Italie, Malte et Portugal) en le transformant en un Groupe 5 + 5 + 1, incluant l'Union européenne, au moins en tant qu'observateur. Les réunions des ministres de la Défense de ce groupe depuis décembre 2004 démontrent qu'il existe un espace pour progresser. Le fait que la Libye et la Mauritanie ne participent pas au Processus de Barcelone pourrait, néanmoins, introduire des problèmes additionnels. <br />Dans le choix entre ces deux options, il faut tenir compte : (a) de la réorganisation des politiques européennes concernant les autres régions voisines, et (b) aussi, bien entendu, des préférences des pays du Maghreb, notamment s'ils choisissent de planifier leurs relations à trois ou à cinq. Quoi qu'il en soit, la restructuration institutionnelle ne doit pas se faire dans un esprit simplement « esthétique ». Il faudrait identifier des projets spécifiques et tangibles qui serviraient de moteurs pour l'intégration du Maghreb : par exemple, dans les domaines des infrastructures, des transports, du dialogue entre sociétés et partis politiques (y compris les islamistes), de la sécurité et de la défense, de l'éducation, de la santé, etc.
Conclusion
L'analyse ci-dessus permet de formuler les conclusions suivantes :
L'intégration régionale du Maghreb devrait constituer une priorité pour l'Union européenne dans son ensemble. Les bénéfices d'une telle intégration pour les Maghrébins eux-mêmes ainsi que pour les Européens sont immenses. Le rapprochement entre les pays du Maghreb est la méthode idéale pour introduire la prospérité dans une région voisine qui ne possède pas actuellement de grandes perspectives de développement. En outre, le succès d'un tel projet dans le monde arabe serait très significatif et la création d'une « interface » entre une Europe riche et ancienne et un continent africain surpeuplé et pauvre contribuerait à la sécurité.
<br />L'Union européenne devrait contribuer de manière plus déterminée à la stabilité et au développement du Maghreb. L'Union doit s'impliquer dans la solution de la controverse du Sahara occidental, insister sur les avantages d'un rapprochement régional et promettre l'aide nécessaire.
<br />Dans le but de progresser vers ces objectifs, l'Union pourrait proposer la création d'un cadre multilatéral de négociation pour le Sahara occidental, où le Maroc et le Polisario discuteraient entre eux, avec l'Algérie, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, les Nations unies et l'Union européenne.
<br />Par ailleurs, l'architecture institutionnelle qui lie l'Union et ses Etats membres et les pays du Maghreb doit être révisée. Le processus de Barcelone, les Accords d'association et la Politique de Voisinage se focalisent sur les rapports bilatéraux entre l'Union et les partenaires méditerranéens, alors que les relations entre voisins sont également importantes. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre les dimensions bilatérales et multilatérales de la politique extérieure européenne. En ce qui concerne le Maghreb, l'Union pourrait offrir l'établissement, au sein du processus de Barcelone, d'une association UE-Maghreb, avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, afin de promouvoir les échanges entre ces pays et avec l'Union. <br />En somme, la contribution de l'Union européenne à la stabilité et la prospérité de son voisinage immédiat, qui est l'un de ses objectifs stratégiques, exige une implication plus poussée dans le rapprochement régional du Maghreb. La sécurité de l'Europe ne peut pas être garantie à long terme sans un développement conséquent de cette région voisine.