You are here
L'évolution stratégique du Japon : un enjeu pour l'Union
Pays atypique par sa modernité précoce, sa grandeur économique, sa relation de sécurité avec les Etats-Unis - unique dans sa définition et dans sa portée -, enfin par sa Loi fondamentale, unique également dans le pacifisme institutionnel qu’elle scelle, le Japon réunit tous les paradoxes. Il reste un acteur difficile à appréhender, dans la définition de sa politique étrangère, dans la place qu’il souhaite occuper en Asie et au sein de la communauté internationale. Absent des grands débats de la guerre froide, l’archipel a amorcé depuis une décennie un mouvement nouveau pour affirmer sa présence politique sur la scène internationale. Moderniser l’Asie pour stabiliser son environnement proche a été une constante de la politique étrangère d’après-guerre au travers d’une politique d’aide au développement inégalée et d’une diplomatie dite informelle. Acquérir un statut international est une ambition affichée depuis le milieu des années 1980. Après cinquante ans de « profil bas » sur les grandes questions internationales, et après que l’objectif de croissance et de développement technologique d’après-guerre a été atteint, le Japon est entré au cours de la décennie 1990 dans une phase de reconquête active d’une place internationale que sa seule puissance économique n’était pas parvenue à légitimer. Les événements politiques et diplomatiques autour de la guerre du Golfe de 1991, les tensions et menaces régionales, la dynamique globale du terrorisme après 2001 ont tour à tour aidé les élites politiques et militaires japonaises à modeler de nouveaux outils de politique étrangère. Pour la classe dirigeante, il s’agit avant tout de doter le Japon des meilleurs outils pour assurer la stabilité et la sécurité de l’archipel dans un cadre constitutionnel inchangé : celui d’un Etat ayant formellement renoncé au droit souverain de faire la guerre pour résoudre un contentieux international. Sur une décennie, le Japon ajuste ou innove un cadre juridique lui permettant d’être un Etat responsable sur la scène internationale. Les premières troupes des Forces d’autodéfense (FAD) participant à des opérations onusiennes à l’étranger en 1993 marquent symboliquement le tournant de la politique étrangère et de défense du Japon, de même que la consolidation de sa relation avec les Etats-Unis répond à des préoccupations sécuritaires nouvelles. Depuis une décennie, le Japon se prépare ainsi à une agression extérieure : sa doctrine en matière de défense se clarifie, le processus de décision politique se renforce, les équipements militaires empruntent les dernières technologies, les troupes japonaises opèrent à l’étranger. En outre, la relation entre les Etats-Unis et le Japon est dorénavant une relation d’opportunité bien comprise, malgré des divergences politiques sur les grands dossiers internationaux. L’autonomisation de la défense japonaise, alliée à la fidélisation affichée aux Etats-Unis, n’est pas sans effet. Pourtant, l’Europe n’a pas encore pris la mesure de ces mouvements, conti-nuant à observer le Japon sous le prisme économique ou sous le prisme américain. Or les évolutions actuelles sur l’archipel ont une portée considérable sur la redéfinition du triangle stratégique Chine/Japon/Etats-Unis : elles renforcent l’axe nippo-américain face à la Chine d’une part, et testent la relation politique sino-japonaise d’autre part. De son côté, l’Union peine à définir une stratégie globale en Asie. Alors que la Chine est déjà formellement inscrite comme un point de débat majeur au sein de la relation transatlantique, le dialogue politico-stratégique nippo-européen est fragilisé par la politique chinoise de l’Union. Portée par la dynamique économique de la Chine d’un côté, et l’émergence politique du Japon de l’autre, la nouvelle configuration asiatique place ainsi l’Union européenne dans un dilemme stratégique.